Le miroir de l’eau.

La lune est haute dans le ciel, ce soir là. Les fenêtres sont ouvertes pour capter le peu de fraîcheur de la nuit d’été et laissent le froid éclat du grand astre se diffuser sur l’un des murs de ma chambre. Ce soir là, comme tant d’autres, le sommeil me fuit. A moins que ce ne soit moi… Mon esprit comme trop souvent est assiégé par un flot incessant de pensées. Ces pensées découpent ma vie en d’innombrables morceaux et exacerbent la douleur de chacun de mes espoirs déçu. Dans le calme apparent de la nuit, la tempête fait rage en mon empire. Je suis malheureux. Mais pourquoi suis-je comme ça ? Je me sens insipide ; insignifiant ; laid. Le jour je porte mon masque social, celui d’un homme à l’aise, assuré, un tantinet extravertie. Le soir, il se brise sous l’assaut de mes songes, dans une tempête de déception et de tristesse.

Et moi qui m’était imaginé que pour connaître le bonheur, il aurait suffit de cette intervention chirurgicale ; pour ôter de mon être cet embonpoint dont j’avais tant honte, ce corps dont j’avais horreur, qui m’empêchait de me regarder dans le miroir sans ressentir autre chose que dégoût. Mais une fois l’opération passée, tandis que mes formes disparaissaient, les ennuis de santé faisaient leur apparition, ma douleur et ma mésestime demeuraient. Je dresse mentalement la liste de mes malheurs et suffoque rapidement sous leur poids. Je me lève, sors de ma chambre en faisant attention de ne pas réveiller mon être aimé, si profondément endormi. Hagard, je laisse mes pas choisir leur route. Ma tête est ailleurs.

Je suis dans le jardin, l’étang reflète la silhouette brillante de la lune. Je m’agenouille au bord, me penche et contemple la surface de l’eau qui n’est troublée que par le mouvement de quelques insectes. L’image de mon visage se compose sur le miroir de l’eau. Il est fin, sculpté, si différent de naguère. Et pourtant… Je ne l’aime toujours pas.

« Pourquoi détestes tu ton corps ? » Me demande soudain mon reflet. Figé par la stupeur, le temps d’un battement de cils, je répond : « Il n’est pas assez bien. Je me trouve sans saveur, je suis malheureux. -Pas assez bien ? Il est pourtant tel qu’il doit être à cet instant, sinon, il serait différent. Et si c’était plutôt la vision que tu en a qui n’était pas assez bien ? -Je suis perdu. J’ai l’impression de passer chaque instant de ma vie dans des sables mouvants. Au moindre de mes mouvements ils menacent de m’engloutir. -Les sables mouvants sont tes pensées, tes inquiétudes, tes frustrations. Tu les alimentes, te débats et continue à t’enfoncer. Tout le monde sait qu’il ne faut pas se débattre dans des sables mouvants ! » Répondit mon reflet comme si c’était l’évidence même. Je réagis vivement : « Mais je ne peux pas faire autrement ! Comment le pourrais-je ?

-Accepter.

-Accepter quoi ?

-Accepter ce qui est. Ton corps par exemple, tu ne l’as pas choisi, il est ainsi. Accepte le, aime le, chérie le. Il est ton transport pour saisir chaque instant de la vie. » Devant mon silence, il reprit d’une voix à la fois calme et puissante : « Je te donne mon nom : Zephyr. Et en mon nom, je souhaite que tu laisse l’empreinte de ton corps sur des pellicules photographiques et que tu t’applique chaque instant à t’aimer, de corps et d’esprit. Si le plus gros des nuages peut dissimuler l’aurore, il ne peut la faire disparaître. »

Je me réveille dans mon lit, la chaleur du soleil est déjà accablante, il doit être tard. Je ne sais pas ce qu’il s’est réellement passé cette nuit mais je me réveille avec une certitude : Je ne veux plus souffrir. Comme Zephyr me l’a demandé, je ferais de la photo, dévoilerait ce corps qui m’accable et apprendrait à l’aimer. Je partagerais ce combat avec ceux qui le voudront, car porter seul devient trop dur.

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